Carnet de route

Weekend EPAM Aston

Le 18/12/2021 par Loïc Pouget

J1:
Foix. 5h du mat. Dring. Nous nous levons du sommier complètement desséchés. Hier nous avons mangé une fondue savoyarde. Au réveil, on cherche l’eau comme du lierre sur une façade. Nous compactons dans la voiture nos sacs trop lourds préparés la veille. À l’heure où seuls les boulangers sont levés, on fonce au lieu de rendez-vous numéro 1 et on récupère un Pierre Luigi qui n’a que deux heures de sommeil sous les aisselles. Autant vous dire que les discussions ne sont pas grandioses dans le Berlingo utilitaire nous conduisant au lieu de rendez-vous numéro 2. Nous récupérons El titan, Christophe, tout heureux. Le coffre de la voiture ne s’ouvre pas. Malgré cela, nous chargeons des kgs de matos comme si nous allions faire la guerre de Sécession. Il y en a du sol au plafond et avons du mal à nous faxer entre les skis et les piolets. Chauffage à fond dans la voiture, nous commençons à prévoir l’itinéraire de notre week-end qui semble long et périlleux. Je fais l’erreur d’ouvrir un vieux fromage de brebis qui pue les pieds. De bon matin, ça nous file la gerbe. Nous passons la frontière puis Soldeù (prononcé Sold[eu] par Christophe). CRAC !, frein à main. Nous sortons de la voiture : PETARDO, sa caille ! On met les peaux et les sacs sur le dos pour prendre la piste du Val d’Inclès, tambours battants. La nuit est claire et les étoiles scintillent. La lune nous domine dans l’axe de notre progression. Nous avons tous les yeux écarquillés vers le ciel. Seules nos respirations bruyantes viennent perturber le calme qui règne en demeure. Puis, la clarté orangée du ciel se dévoile : le jour se lève. L’instant est suspendu. C’est sublime. 3h heures d’approche dans de la neige fraîche plus tard, nous parvenons aux pieds d’une cascade de Joclar bien maigre qui a mauvaise allure ... Nous apercevons une ligne dans la goulotte la plus à droite qui pourrait se prêter à la grimpe. Révision rapide des relais pour Momo (surnommé Mohammed) qui va vivre ses premiers pas dans un Joclar décimé par la neige. Premier relais, easy ! Second relais, easy ! Troisième relais, pas easy ... La glace est inconsistante et la couche est très maigre rendant le brochage de plus en plus engagé. La cascade craque à intervalles courts nous rappelant qu’à tout moment, les blaireaux que nous sommes peuvent ramasser une montagne de glaçons sur la margoulette. Quel bonheur d’être là ! R3 fait sur broches cravatées à 3/4 dans la glace... Christophe, là haut, ne ternit pas sa réputation de déménageur et casse tout sur son passage sans même annoncer. 10 mètres plus bas, c’est une pluie de parpaings qui s’abat sur nous. On se plaque sur la glace comme des poissons nettoyeur d’aquarium. Malheureusement, cela ne nous empêche pas de prendre la foudre. BARGTH ! Un bloc me tombe sur l’épaule droite. Morgane est près de moi, imperturbable et calme. Avec le recul, je crois qu’elle était déjà en mode « survie » à ce moment-là. Pierre Luigi parvient au relais dans un calme olympien. La dernière longueur en 3+, mêlant mixte et glace, est une traversée obliquant à droite pour rejoindre l’ultime relais sur un bloc à l’aplomb de la cascade. Ni une ni deux, on plie boutique pour rejoindre le refuge du Rhule. La nuit s’approchant à grand pas, nous hâtons la marche et parvenons rapidement à notre logis du soir. Celui-ci est littéralement enseveli de neige si bien que nos pas frôlent le niveau de la toiture. Par conséquent, nous sortons pelles, patience et bonne volonté pour accéder à la porte. Après 20 minutes d’effort à 8 mains, nous parvenons à quelque chose : CLOC CLOC ! Manque de bol ce n’est que la table, il reste 1 mètre à creuser ... Nous parvenons enfin à ouvrir cette satanée porte et entrer dans le congélateur du refuge qui dispose déjà d’une grande notoriété en Ariège. Nous passons le clair de la soirée à faire fondre de la neige pour notre approvisionnement en eau. La légende raconte que Morgane, assoiffée, aurait bu l’équivalent de 17 litres d’eau fondue. À 21h et des brouettes, nous nous collons tous les quatre comme des sardines dans une boîte et empilons les couvertures tels des pancakes trop cuits.

J2 :

Refuge du Rhule. 5h du mat. DRING. Même heure, même chaîne. La pièce dans laquelle nous nous trouvons a entièrement condensé. Le givre tapisse les couvertures. On boit et mange un coup tout en enfilant le baudrier. Nous savons qu’aujourd’hui chaque minute va compter si nous voulons toucher la pierre sommitale. Dehors, c’est spectaculaire. Je n’ai jamais vu une nuit aussi claire. La lune illumine l’arête comme un projecteur dans un théâtre rappelant ce que Mario Colonel appelait « les chemins du ciel », en mode tremplin vers les étoiles. C’est superbe !
Il nous suffit de 17 minutes de brassage dans la neige à peine tassée par un regel matinal relatif pour atteindre le pied. L’exercice de l’arête hivernale est assez impressionnant nous rendant quelque peu fébriles sur nos premiers pas : on pose des câblés dans tous les sens, on fait des relais tous les 30 mètres sans privilégier la corde tendue etc ... On perd du temps malgré un rythme de grimpe assez soutenu. Nous galopons littéralement sur l’arête comme des enfants hyperactifs drogués au Coca. Au premier vrai relais, nous prenons quelques secondes pour admirer le spectacle s’offrant à nous : les lumières du jour se sont progressivement allumées. Nous, pauvres blaireaux bien déterminés à plier l’arête dans un temps certain, n’avions même pas pris le temps de contempler la splendeur des lieux, impénétrables avec un tel niveau de neige, hostiles et inhospitaliers comme l’Ariège peut nous offrir. L’air que nous respirons est glacé. Au loin, le Pic de la Coume d’Enfer domine ses prédécesseurs : les Pic de Ransol et de la Portaneille. Près de nous, comme un serviteur, le Pic Nègre de Joclar se dresse. Tous sont vêtus d’un blanc rayonnant. Ici haut, nous sommes bien-heureux comme si, l’espace d’un instant, l’Aston nous appartenait.

- Pierre Luigi (tout bas) : « ya pas à dire, la Haute Ariège en hiver, c’est quand même magnifique ».

- Christophe (comme un supporteur argentin dans un stade) : « Morgane, dépaaaaaaart ! ».

La longueur dite « clé » est franchie assez facilement par nos deux cordées. Quelques spits ont été déposés ci et là mais le gaz à nos fesses nous contraint à la détermination. Le mixte, ce n’est vraiment pas mon fort. Je danse comme ma grand mère au bal musette. Momo commence à gémir dans les pas durs. En contre bas, nous haranguons de toutes nos forces : « Allez Momo, solide !!! ». La neige est granuleuse et ne facilite pas notre progression dans les zones de mixte. Qui plus est, c’est Christophe devant. Et le bougre n’est pas connu pour sa finesse ou ses cookies vegan faits maison. Il boulègue (verbe occitan signifiant remuer, mélanger) tout sur son passage. Au relais, il nous déverse blocs de glace et neige en quasi continu. On se régale ! Sur le rocher, on se débrouille plutôt pas mal. Mais dans du mixte vertical, ce n’est pas la même histoire... Nous parvenons enfin à la longueur décisive du haut du deuxième gendarme. Nous observons Christophe évoluer dedans. Il pose 3 freinds sur 30 mètres et force pour le réta final... Je ris nerveusement en me disant : « Dément, je vais crever ! ». La peur m’envahit mais pas question de réchapper. Momo s’y lance en hurlant comme une souris qu’on coince dans une porte vitrée mais sort de là sans encombre. Par défaut de temps (et de mental, il ne faudrait pas se trouver des excuses), il me lance une corde. Je pars dedans. C’est dur, physique et psychologique. ABO ! Je sors du réta final en hurlant et jurant : « la pu**, la pu** ! ». Pierre Luigi suit en y mettant aussi le paquet mais plus sobrement, sans un murmure (quelle coquine celui-là). On sort finalement de l’arête trop tard ... Nous allons devoir taper le rappel et réchapper à 1h de marche du sommet... C’est donc entre frustration et satisfaction que nous descendons les couloirs N littéralement farcis d’une puff légère et douce. Malheureusement, les lattes sont restées au refuge que nous atteignons finalement en très peu de temps. A notre grande stupéfaction, un mec est là en raquette. J’étais à deux doigt d’y offrir un autocollant des blaireaux ... Nous en profitons pour faire une photo typée Paris Match avec l’arête en arrière plan. Sous un soleil qui nous brûle le cocotier, nous entamons le retour à ski vers le Val d’Inclès autrement appelé le chemin de croix de Morgane. Rapidement, nous faisons pied sur le lac gelé de Fontargente. Le paysage qui nous entoure est lunaire et pur. Des congères gigantesques et soufflées par les vents nous servent de trottoir. Au loin, nous apercevons le col de Fontargente symbolisant la fin d’une aventure incroyable et, pour Momo, le salut d’une blairelle démolie par la fatigue. Mais notre nouvelle partenaire disposant d’une ténacité sans égal, après un ultime coup de rein, fait pied au col, un humble sourire aux lèvres. SCRATCH ! On retire les peaux et dévalons 1000 mètres de descente entre les sapins. La neige est hasardeuse et hétérogène. Elle n’est pas dégueu mais avec les 12 kgs sur le dos, nous skions comme des tanches. Arrivés sains et saufs au creux de la vallée, la partie n’est toujours pas terminée : une heure de faux plat en mode patineur pour rejoindre la voiture. Une fois le parking atteint, nous attendons patiemment Morgane. L’apercevant au loin, je m’approche d’elle. Elle est littéralement en kit. Son visage est meurtri. Je me suis demandé si elle n’allait pas m’envoyer les skis dans la tronche alors pour éviter le drame j’ai saisi les skis d’une main ferme et lui ai donné une grande tape réconfortante sur l’épaule de l’autre : « Bravo Momo, ça fait mal mais qu’est ce que c’est bon ». Puisse le récit d’un voyage extraordinaire dans l’Aston, sanctuaire des Pyrénées Ariégeoise, rendre compte de ta force mentale et ta détermination.

 

-Loïc Pouget

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